Composition d’un trio musical inventif ayant marqué la fin des années soixante

Traduction d’un article publié dans Akhbar Al Youm en 2018

Lors d’une des soirées musicales que j’organisais presque tous les soirs chez moi, au milieu des années 1960, et alors que nous venions de terminer de répéter la chanson “Fakrouni”, un chef-d’œuvre de la diva Oum Kalthoum, composé par le maître Mohammed Abdel Wahab, nous fûmes surpris par l’observation d’un participant assidu à nos soirées, où mon ami Hassan Kadmiri interprétait avec brio des chansons d’Oum Kalthoum. Il s’agissait du regretté Ali Hadani.

« Avez-vous remarqué, dit-il, le paradoxe développé dans les paroles de cette chanson, où l’on dit une chose et son contraire ? »

« Notez, ajouta feu Ali Hadani, que les deux premières strophes expriment les reproches faits à ceux qui viennent rappeler à cet amant des souvenirs douloureux : “Après avoir cru que j’avais bien oublié, vous venez me rappeler cet amour”. Mais cet amant, qui se lamente, va se révolter dans le dernier couplet en disant : “Comment peuvent-ils me rappeler mon amour ? L’avais-je en fait oublié ? Alors qu’il est plus proche de moi que je ne le suis de moi-même.” Cela ne signifie-t-il pas dire une chose et son opposé ? »

« Que pensez-vous, poursuivit-il, si je transpose cette idée de strophes en opposition dans un poème en dialecte marocain ? »

Pour moi, c’était une observation précieuse venant d’un poète encore dans ses premiers essais de parolier. Je ne m’attendais pas à la prouesse poétique qui allait en découler, car ce parolier en herbe allait nous surprendre lors de la prochaine soirée en nous lisant, avant que nous ne nous séparions au milieu de la nuit, son premier essai : “La blessure étant bien guérie et ayant pensé que mon cœur vous avait bien oublié, voilà qu’ils viennent te rappeler à moi…”.

Le lendemain, je suis arrivé chez moi en retard, à cause de mon travail en tant qu’ingénieur au ministère de l’Industrie ; c’était à la fin de 1966. Mon ami Hassan Kadmiri, qui m’avait précédé à la maison, était en train d’interpréter une mélodie captivante que je n’avais jamais entendue. « Quel est le compositeur de ce merveilleux air ? » lui demandai-je. Il répondit : « Tu aimes vraiment ? » J’acquiesçai. Alors il m’expliqua : « Hier soir, je n’avais pas sommeil, alors j’ai travaillé sur le premier paragraphe de cette chanson. »

Je ne l’avais pas cru, car mon ami Hassan Kadmiri était encore à ses débuts en matière de composition musicale, mais je fus rapidement convaincu de la véracité de ses propos, car les paroles en question étaient bien celles que nous avions écoutées la veille. Cela m’avait conduit à lui dire : « Si tu es capable de produire une telle composition, tu deviendras certainement l’un des grands compositeurs du Maroc. » Et ce fut effectivement le cas.

Il est remarquable que cette chanson, qui fut interprétée par feu Mohamed El Hayani avec une maîtrise exceptionnelle, ait été son premier grand succès. Ainsi, un trio créatif marocain composé d’Ali Hadani, Hassan Kadmiri et Mohamed El Hayani se forma pour nous émerveiller avec différentes chansons qui allaient marquer la fin des années 60. Le parolier feu Ali Hadani utilisa à merveille cette opposition d’idées, notamment dans la chanson “Chaud et Froid”, qui remporta le prix de la meilleure chanson de la saison 1971.

Que Dieu ait en sa miséricorde feu Ali Hadani, ainsi que le regretté chanteur Mohamed El Hayani, et qu’il bénisse et protège mon frère Hassan Kadmiri, celui qui nous a enchantés plus tard par ses compositions, considérées comme des chefs-d’œuvre de la chanson marocaine, telles que “Ma promesse, ô ma promesse”, interprétée par Samira Bensaïd, “Ya Jara Wadina” par feu Naima Samih, et “Ma Takchi Fiya” par Abdelhadi Belkhayat.

Driss Kettani
Ancien ambassadeur