M. Bazin, ancien président de la République d’Haïti : Les secrets de mon succès sont dus au Maroc

Il y a quelques semaines, la République d’Haïti a ouvert un consulat dans la ville de Laâyoune. Cet événement heureux m’a rappelé une responsabilité que je porte depuis un quart de siècle, lorsqu’un des anciens présidents de cette île lointaine m’a exprimé son amour et sa gratitude envers le Royaume du Maroc, en me demandant de transmettre ses salutations sincères aux responsables marocains et au peuple marocain hospitalier. Je m’exécute aujourd’hui, malgré le temps écoulé. Voici l’histoire :

Je me trouvais en mission professionnelle dans ce pays éloigné, situé au sud de Cuba et à proximité de l’État américain de Floride, au milieu des années 1990. À l’hôtel « Ramada Inn », je m’étais arrêté à la réception pour demander la clé de ma chambre, lorsque j’ai entendu une voix derrière moi : « Idriss ». Je me suis retourné, surpris de rencontrer quelqu’un qui me connaissait dans ce pays que je visitais pour la première fois. Qui pouvait me reconnaître à ma voix avant même de voir mon visage et m’interpeller par mon prénom ? Stupéfait, je me suis retrouvé face à un cadre des Nations Unies que j’avais rencontré à Addis-Abeba lorsque je m’y rendais dans les années 1970 en tant que représentant de mon pays, le Maroc, aux réunions annuelles de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et de l’Organisation de l’unité africaine.

Je lui ai dit, étonné : « Que fais-tu ici, mon frère Bazin ? La dernière fois que je t’ai vu, c’était à Addis-Abeba il y a plus de vingt ans. » Il m’a répondu : « Et toi, que fais-tu ici ? Je sais qu’il n’y a pas de relations économiques entre nos deux pays. » Je lui ai alors expliqué que j’étais devenu fonctionnaire international et que l’organisation que je représentais cherchait à financer certains projets de développement dans son pays.

Lors de cette même rencontre, j’ai appris qu’il avait pris sa retraite et était retourné dans son pays depuis quelques années. Mon ami Bazin était un ami cher qui me fournissait souvent, ainsi qu’aux délégations marocaines, des informations précieuses sur ce qui se passait en coulisses lors des réunions organisées par l’Organisation de l’unité africaine, puisqu’il travaillait au secrétariat de la Commission économique africaine. Je n’ai compris la raison de son soutien inconditionnel aux causes marocaines, notamment durant cette période de confrontation diplomatique ouverte avec l’Algérie et ses alliés au sujet du dossier du Sahara marocain, que lors de cette visite dans son pays.

Lors d’un dîner chez lui, il m’a parlé de son frère Marc Louis Bazin, qui avait quitté la présidence de la République quelques mois auparavant et qui venait de publier ses mémoires. Par une curieuse coïncidence, son frère allait présenter son livre le lendemain à son domicile. Dès qu’il a su que j’étais présent et que j’étais Marocain, il a insisté pour que j’assiste à cet événement.

La surprise m’attendait lorsque, après m’avoir offert un exemplaire de son livre, il m’a raconté comment sa carrière à la Banque mondiale à Washington, qui a duré trente ans, l’a finalement conduit à la présidence de la République. Cette carrière, dit-il, a commencé au Maroc, un pays dont il n’oubliera jamais la bienveillance.

M. Bazin a expliqué : « J’ai travaillé dans votre pays durant les premières années de l’indépendance, à la fin des années 1950, où j’ai servi au cabinet de votre ministre de l’Économie, mon ami feu Abderrahim Bouabid, avec qui j’avais étudié à la Faculté de droit à Paris et vécu les années de lutte avant l’indépendance. » Il ajouta : « Parmi mes tâches au sein de son cabinet, il y avait la préparation du dossier des relations du Maroc avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. C’est ainsi que je me suis retrouvé membre de la délégation marocaine participant à la session annuelle de ces deux institutions à Washington à la fin des années 1950, même si je n’avais pas la nationalité marocaine.

Lors de ces travaux, la délégation marocaine a appris qu’elle avait le droit de proposer l’un de ses cadres pour un poste au sein de la Banque mondiale, dans le cadre du quota fixé pour chaque État membre. Et c’est là que la surprise est survenue : mon frère Abderrahim a proposé mon nom pour ce poste (peut-être en raison du faible nombre de cadres marocains à cette époque ?!!!). »

Il m’a ensuite raconté comment il a gravi les échelons de responsabilités dans cette institution financière internationale pendant trois décennies, jusqu’à ce que son pays, Haïti, connaisse des événements majeurs au sommet du pouvoir sous la présidence d’Aristide, ce qui l’a conduit à être nommé Premier ministre puis Président de la République en 1992, avec le soutien des autorités américaines et l’approbation du président Bush.

« Je vous prie de transmettre mes salutations les plus sincères et mes remerciements à mes frères marocains, qui m’ont accueilli comme l’un des leurs, me permettant de vivre parmi eux de merveilleux moments, jusqu’à ce que mon frère Abderrahim Bouabid me propose pour ce poste au nom de son pays », dit le président Bazin.

Et c’est ce que je fais aujourd’hui, bien que tardivement, car comme on dit, « une chose en rappelle une autre ». Et voici que son pays, Haïti, que ce soit intentionnellement ou non, nous rend la pareille en ouvrant un consulat dans nos provinces sahariennes récupérées.

Idriss El Kettani
Ancien Ambassadeur au Koweït