
Driss Kettani : Comment Hassan II m’a chargé de trouver un entraîneur brésilien
– Pouvez-vous nous parler de votre rôle dans le choix de l’entraîneur brésilien Mehdi Faria dans les années 1980 ?
– Nous nous souvenons tous avec fierté de l’épopée magnifique réalisée par notre équipe nationale lors des finales de 1986 au Mexique, où l’équipe nationale marocaine est entrée dans l’histoire du football en devenant la première équipe arabe, africaine et même asiatique à atteindre le deuxième tour d’une Coupe du Monde, en tête de son groupe. Après avoir fait match nul avec la Pologne puis avec l’Angleterre, elle a remporté une victoire mémorable contre le Portugal avec trois buts à un. Tous ceux qui ont vécu cette époque se souviennent que l’homme qui a dirigé cette équipe exceptionnelle était l’entraîneur brésilien Mehdi Faria. Pour répondre à votre question, je dirais d’abord, pour l’histoire, que feu Mehdi Faria n’était pas celui qui a formé cette formidable équipe, mais c’est lui qui l’a peaufinée et l’a dirigée avec excellence, en y apportant quelques ajustements. Cependant, le mérite de la constitution de l’ossature de cette équipe revient à l’entraîneur brésilien qui l’a précédé d’un peu moins d’un an, et qui a remporté avec cette équipe la Coupe des Jeux Méditerranéens organisée au Maroc en 1983. Son nom est Jaime Valente. Bien sûr, cela ne diminue en rien le rôle de feu Mehdi Faria dans la réalisation de ces résultats exceptionnels avec notre équipe nationale, ainsi qu’avec l’équipe des Forces Armées Royales.
– Comment cela s’est-il passé ?
– C’est une histoire étrange dont j’ai vécu les détails, et que je n’ai pas racontée depuis plus de trente-cinq ans.
– Pourquoi ne l’avez-vous pas racontée plus tôt ?
– Je ne sais pas exactement, peut-être parce que j’ai traité ce dossier comme n’importe quel dossier auquel j’avais été assigné en tant que fonctionnaire travaillant dans les rouages de l’État. Peut-être aussi parce que je pensais qu’il n’était pas de mon droit, même éthiquement, de divulguer des informations sur un dossier d’État réalisé sur des instructions royales non divulguées. Mais aujourd’hui, après près de deux décennies depuis le décès du regretté Hassan II, je ressens qu’il est nécessaire de la publier pour documenter cet événement, dont les résultats ont souvent été attribués à ceux qui n’y ont pas contribué. Et je vous assure aujourd’hui que tout le mérite des résultats de Mexico 1986 revient principalement à Hassan II, qui a planifié ces résultats quatre ans avant leur réalisation, lorsqu’il a insisté pour que l’entraîneur national vienne du Brésil, alors que le Secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports et la Fédération Royale Marocaine de Football préféraient engager un entraîneur européen, n’acceptant le choix royal qu’à contrecœur. Combien ai-je entendu et lu de commentaires et de nouvelles erronées sur les rôles de premier plan joués par ces instances dans le choix de Mehdi Faria et dans les résultats de la Coupe du Monde de Mexico 1986, alors que le contraire est vrai, comme je vais vous le raconter en détail et le prouver avec des preuves écrites.
– Que s’est-il passé exactement ? Comment ces deux entraîneurs brésiliens ont-ils été choisis ?
– Voici ce qui s’est passé. En août 1982, feu Hassan II a reçu une délégation de conseillers économiques pour les nommer dans les principales ambassades marocaines. C’était la première et la dernière fois qu’il nommait personnellement des conseillers économiques à titre exceptionnel. Nous étions donc à une réception au palais royal, où les responsables du protocole présentaient ces conseillers économiques au roi selon leur lieu d’affectation (Paris, Madrid, Londres, Tokyo, New York, Bruxelles, Delhi… etc.). Lorsque vint mon tour, car j’étais candidat pour le Brésil et l’Argentine à partir de Rio de Janeiro, un événement inattendu s’est produit. Le roi me serra longuement la main après m’avoir félicité, et dit avec une certaine admiration : « Riooo !… la samba ! ». Les personnes présentes furent surprises. Il y avait cinq ministres si je me souviens bien : feu Mohamed Boucetta, ministre d’État aux Affaires étrangères ; M. Mahjoubi Aherdane, ministre d’État chargé de la coopération ; Abdellatif Jouahri, ministre des Finances ; Aziz Den Kssous, ministre du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme ; et Tayeb Bencheikh, ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Affaires économiques ; ainsi que plusieurs hauts responsables du cabinet royal, dont M. Reda Kdira, conseiller du roi. Je dis donc que les personnes présentes furent surprises lorsque le roi me demanda : « Vous intéressez-vous au football ? ». Je répondis par l’affirmative. Il dit alors : « Avez-vous suivi les récentes finales de la Coupe du Monde ? » (qui venaient de se terminer en Espagne il y a quelques semaines). Je répondis également par l’affirmative. Il me demanda ensuite quelle était, selon moi, la meilleure équipe parmi les participantes à ces finales. Sans hésitation, je répondis « l’équipe brésilienne » (bien que cette dernière ait été éliminée en demi-finale). Sa réponse fut : « C’est aussi mon avis, c’est pourquoi le premier dossier sur lequel vous travaillerez dès votre arrivée au Brésil sera de nous trouver un très bon entraîneur pour l’équipe nationale ». Il le dit en français : « Trouvez-nous un très bon entraîneur pour l’équipe nationale. »
Journal “Akhbar Al-Youm”, mercredi 4 juillet 2018