
Al-Kettani : Vision proactive de Hassan II
– Revenons alors aux circonstances de l’exécution de ces instructions royales et comment vous avez réussi à mener à bien une mission qui ne relevait pas de vos compétences ?
– Avant de parler du déroulement des événements concernant ce dossier, permettez-moi de rappeler l’ambiance et les commentaires qui circulaient alors dans certains milieux sportifs concernés, qui prédisaient un échec retentissant de ma mission. J’ai entendu des paroles dures à mon égard, avant et après mon arrivée à mon poste, de la part de certains responsables, que Dieu leur pardonne, comme : « C’est un jeu d’enfants » et « Qu’est-ce qui t’amène à t’occuper du football alors que tu ne sais même pas choisir un entraîneur pour l’équipe nationale ? », comme si c’était moi qui avais demandé ou proposé au roi de mener cette mission, ou comme si j’avais pu refuser d’exécuter ces instructions royales. Quant à notre ambassadeur à Brasilia – que Dieu lui pardonne – de qui j’espérais de l’aide dans ce dossier, il a au contraire tenté de me dissuader de m’en charger, en disant : « Qu’est-ce qui t’a poussé à t’occuper de ce sujet alors que tu en es si éloigné ? »
– Est-il vrai que vous étiez éloigné du monde du football et du sport ?
– Non, bien sûr que non. Depuis mon enfance, et encore aujourd’hui, je suis passionné et compétent dans ce domaine. J’ai joué au football au début des années 1960 avec des joueurs remarquables, dont certains jouaient dans l’équipe nationale, comme « Ali », l’aile droite du Racing de Casablanca, et feu « Tatoum ». Nous appartenions tous trois au même quartier, Derb Sultan à Casablanca. Plus tard, j’ai joué avec le phénomène unique, feu « Abderrahmane El-Khaldi », qui a remporté la Coupe du Trône trois fois consécutives avec son équipe du Kawkab de Marrakech au début des années 1960, où nous étions camarades à l’École Mohammadia d’ingénieurs. De plus, mon intérêt pour le football m’a permis de tisser des relations spéciales et distinctes avec certains dirigeants de ce sport, parmi lesquels le colonel Belmajdoob et le général Bamous, que Dieu les ait en Sa miséricorde, qui ont présidé la Fédération Royale Marocaine de Football à différentes époques, après avoir joué des rôles remarquables avec l’équipe des Forces Armées Royales.
– Vous aviez donc déjà vécu des événements sportifs avant d’être chargé de trouver un entraîneur brésilien. Pouvez-vous nous en parler ?
– Oui, car ce que je vais vous raconter contient un témoignage historique que j’aurais dû faire il y a plusieurs années. Je suis peut-être le seul à pouvoir donner ce témoignage pour disculper feu le colonel Belmajdoob concernant la défaite de notre équipe nationale contre l’Algérie à Casablanca en 1979.
– Pensez-vous que feu Belmajdoob n’était pas responsable de cette défaite ?
– Absolument, d’autant plus que j’ai vécu des faits qui le prouvent. Ce match s’est déroulé dans un contexte politique tendu, comme je l’ai mentionné précédemment, en raison du conflit qui atteignait son paroxysme entre les deux pays. La rencontre a donc pris une dimension politique extrêmement sensible à la fois au niveau populaire et officiel. Le Maroc a perdu 5-1, dans sa propre capitale économique, devant un stade plein à craquer. Le colonel Belmajdoob a été tenu responsable de la défaite par certains médias et même par certains responsables, ce qui a conduit à la dissolution de la Fédération Marocaine de Football qu’il présidait alors. Pourtant, il n’avait aucun pouvoir décisionnel concernant ce match, mais il est resté silencieux jusqu’à son décès en 2008, sans jamais se disculper de ce qui lui avait été imputé, pour une raison que je ne peux pas révéler. Mais aujourd’hui, près de quarante ans après ce match humiliant, je témoigne qu’il n’était en rien responsable des résultats inattendus et incompréhensibles de cette rencontre. Voici ce qui s’est passé : je suis allé voir M. Belmajdoob au club de tennis de l’Olympic, où j’avais l’habitude de le rencontrer, la veille de ce match funeste, et je lui ai demandé son avis sur l’ambiance et ses prévisions concernant le résultat du match. Il est resté silencieux un long moment et s’est contenté de lever les mains. Lorsque je lui ai demandé si je pouvais assister au match, il m’a demandé de le rejoindre à l’hôtel Lasamire à Mohammédia, où l’équipe nationale était en regroupement, pour l’accompagner au stade. Je n’ai compris la raison de cette proposition qu’après le match, comme s’il voulait que je sois témoin de l’événement.
Cette partie de l’histoire n’a pas été publiée dans le journal “Akhbar Al-Youm”, peut-être en raison des informations qu’elle contient, disculpant Belmajdoob de toute responsabilité dans la défaite du Maroc face à l’Algérie par 5-1.
Question : Avez-vous rendu visite au colonel Belmajdoob à l’hôtel Lasamire comme il vous l’avait demandé ?
Réponse : Oui, je suis allé au rendez-vous et je l’ai trouvé assis seul dans le hall de l’hôtel, dans une situation étrange. Il m’a demandé de m’asseoir à côté de lui, et j’observais les joueurs se déplacer dans l’hôtel sans prêter attention à sa présence. Soudain, l’entraîneur “Clézo” est apparu, se dirigeant vers les escaliers de l’hôtel. En chemin, il est passé devant nous, nous a dépassés, puis est revenu vers nous, sortant un papier de sa poche en disant à feu Belmajdoob : « Voici, mon colonel, la composition de l’équipe avec laquelle nous allons jouer. » Il la lui a remise et est parti… Il est devenu clair pour moi que le colonel n’avait aucun mot à dire sur la composition de l’équipe. Dès qu’il a lu les noms sur la liste, il a montré des signes d’inquiétude et de tension. Je lui ai alors demandé : « Que se passe-t-il, mon colonel ? », et il a répondu avec une grande agitation : « C’est une catastrophe ! » J’ai été surpris par cette réaction, car il avait auparavant refusé de commenter le match, se contentant de lever les mains chaque fois que je l’interrogeais. Mais cette liste l’a sorti de son silence, et il a dit dans son dialecte ouest-marocain familier, étant originaire de Sidi Kacem : « Certains joueurs sur cette liste, je ne les ferais même pas entrer pour m’abriter de la pluie, encore moins les faire jouer dans un match aussi crucial que celui-ci. » Il a ensuite ajouté avec agacement : « Que Dieu fasse passer cette journée sans problème. Regardez, M. Idriss, retournez à Rabat et suivez le match à la télévision chez vous. » Lorsque j’ai tenté de comprendre pourquoi, il a dit : « Je m’attends à une grande défaite de l’équipe nationale, qui pourrait entraîner quelque chose de grave à Casablanca. » J’ai suivi son conseil et je suis retourné à Rabat, où j’ai suivi le match à la télévision, et ce qu’il avait prévu s’est réalisé exactement en termes de résultat, mais heureusement, il n’y a pas eu d’émeutes graves après le match. Que Dieu pardonne à tous les commentateurs et responsables, sportifs et autres, qui l’ont tenu pour responsable de ce résultat, car à cette époque, il était président de la Fédération et cette dernière a démissionné immédiatement après ce match. Qui sait ? Peut-être lui a-t-on demandé de démissionner pour donner l’impression qu’il était le principal responsable de ce qui s’était passé. Nous avons appris plus tard que la liste que l’entraîneur Clézo avait remise à M. Belmajdoob était celle qu’il avait apportée avec lui après être revenu en hélicoptère du palais royal de Skhirat quelques heures avant le match. Ce qui m’a encore plus peiné, c’est ce que j’ai observé de la part de cet entraîneur, Clézo, à l’égard du colonel Belmajdoob, malgré le fait que le colonel lui avait sauvé la vie lors du coup d’État de Skhirat en juin 1971, dont j’étais témoin.
*Lors du coup d’État de Skhirat le 10 juillet 1971, au plus fort de la crise, alors que les présents tombaient par dizaines sous un bombardement violent, nous étions encerclés, les mains levées vers le ciel. J’ai entendu une voix derrière moi dire à un soldat : « Je suis le commandant Belmajdoob (ou colonel, je ne me souviens plus), je vous demande d’apporter un verre d’eau à la personne en face de vous pour qu’elle puisse prendre son médicament. » En regardant de plus près, j’ai reconnu M. Clézo, haletant, comme si son cœur était sur le point de s’arrêter. Plus tard, j’ai su que M. Clézo avait une maladie cardiaque et qu’il décédera des suites d’une opération cardiaque aux États-Unis, financée par le
roi Hassan II au début des années 1990. En résumé, j’ai été témoin du courage du défunt Belmajdoob lors de cette intervention, alors que tout mouvement ou parole étaient passibles de mort (pour information, l’ambassadeur de Belgique avait été abattu parce qu’il avait essayé d’informer les mutins qu’il était un ambassadeur étranger).*
Et voici que M. Clézo reçoit maintenant ses instructions directement du palais royal et les exécute en pleine coordination avec feu Idriss Basri. C’est un témoignage pour l’histoire en faveur de feu M. Belmajdoob, cet homme vaillant que j’ai toujours connu pour son intégrité, sa bravoure et sa bonne conduite.
Question : Quelles autres informations pouvez-vous nous donner sur le colonel Belmajdoob ?
Réponse : Bien sûr, le parcours du colonel est des plus honorables. Pendant qu’il était directeur technique et sélectionneur national au milieu des années 1970, l’équipe nationale marocaine, sous sa responsabilité directe, a remporté pour la première et dernière fois la Coupe d’Afrique en 1976 à Addis-Abeba, avec une équipe comprenant l’excellent Faras, qui a reçu le Ballon d’or africain cette année-là. Je vais vous raconter un incident qui s’est produit à la fin de 1975, lorsque feu le colonel Belmajdoob est venu avec l’équipe nationale en Tunisie pour un match amical. À l’époque, je travaillais en Tunisie en tant que représentant permanent du Maroc au sein de la Commission du Maghreb arabe, qui allait être transférée à Rabat après la création de l’Union du Maghreb arabe en février 1989. En raison de notre amitié depuis le milieu des années 1960, alors qu’il était encore lieutenant, et que nous nous rencontrions au Club des officiers à Rabat, je l’ai accueilli à l’aéroport avec les membres de l’équipe nationale et les ai accompagnés à l’hôtel Abounawas. Quand je lui ai demandé des nouvelles du match et de l’état de notre équipe nationale, il m’a dit : « Aujourd’hui, nous avons une équipe forte et très disciplinée, capable de surpasser la plupart des équipes africaines. » Il parlait avec une grande confiance. Il m’a même dit : « Nous pourrions gagner facilement aujourd’hui contre la Tunisie par trois à zéro, mais je connais bien mes joueurs, donc pour éviter de les piéger dans l’arrogance, je ne les laisserai pas marquer plus d’un ou deux buts. » J’ai été étonné par ses paroles. Il m’a proposé de l’accompagner dans la tribune d’honneur où il m’a présenté au président de la Fédération tunisienne de football. Et en effet, dès la première demi-heure, il m’a été évident que l’équipe marocaine était bien supérieure à son homologue tunisienne, même si cette dernière allait se qualifier par la suite pour la Coupe du Monde en Argentine en 1978.
Journal “Akhbar Al-Youm”, vendredi 6 juillet 2018