Hassan II, l’homme du défi.

Parmi les nombreux témoignages qui mettent en lumière le caractère fort et l’esprit de défi du défunt Hassan II, je suis heureux d’en mentionner un particulièrement marquant, qui remonte à son adolescence, alors qu’il n’était qu’un jeune homme rebelle et déterminé.

À l’âge de 14 ou 15 ans, le jeune prince était en visite au mausolée de Moulay Idriss à Fès, représentant son père. Mon oncle défunt, Si Tahami Lebbar, l’un des grands dirigeants du mouvement national et un leader de la résistance armée lors de l’exil de Mohammed V (1953-1955), m’avait remis une copie de ses mémoires avant sa mort, qui contient ce témoignage exceptionnel.

Le regretté militant Si Tahami Lebbar raconte qu’à cette époque, en tant qu’étudiant au lycée Moulay Idriss de Fès et membre de l’association des scouts islamiques Hassaniens, il faisait partie de l’équipe de scouts qui accompagnait le jeune prince lors de cette visite.

Comme l’association hassanienne avait demandé à feu Mohammed V de leur fournir des vélos pour faciliter les déplacements de ses membres, et que les autorités françaises, représentées par le chef de camp français, n’en avaient livré que deux sur les six envoyés, distribuant les quatre autres aux associations de scouts françaises et israéliennes, il avait été décidé que l’association protesterait contre cette injustice en informant le jeune prince de l’affaire pour qu’il la transmette à son père.

Imaginez la scène : de jeunes étudiants en uniforme de scouts accompagnent le jeune prince de Bab Boujloud au mausolée de Moulay Idriss, parcourant des ruelles étroites et sinueuses avec des descentes raides, tout en suivant le cortège à une allure rapide. Dans ce contexte, mon oncle Si Tahami Lebbar s’est approché du prince pour lui raconter l’histoire : « Nous voulons exprimer notre gratitude à Sa Majesté pour les vélos qu’il nous a envoyés, mais le chef de camp ne nous en a donné que deux sur les six qu’il a reçus. »

Alors qu’il s’apprêtait à expliquer que les autres associations qui avaient reçu les quatre vélos restants disposaient déjà de leurs propres moyens de transport, le prince l’a brusquement interrompu de manière inattendue, en lui lançant une phrase en français tout à fait surprenante : « Depuis quand crois-tu qu’on va te donner tes droits ? »

C’était une réponse vive et profondément marquante de la part d’un adolescent à peine sorti de l’enfance. Inattendue dans ces circonstances, elle a laissé une impression durable.

En revisitant le parcours de mon oncle défunt Si Tahami Lebbar, qui a lutté pendant des décennies avant et après l’indépendance, je remarque quelque chose d’étonnant : il n’a jamais cédé devant aucune injustice, quelle qu’en soit la source. Par exemple, au début des années 60, il n’a pas hésité à poursuivre en justice le puissant ministre de l’Économie de l’époque, feu Abderrahim Bouabid, et le directeur de l’Office chérifien des phosphates (OCP) de l’époque, feu Karim Lamrani, après avoir été licencié de son poste de directeur des ressources humaines de l’Office sans justification convaincante. Il est resté ferme devant les tribunaux jusqu’à ce qu’il obtienne la restitution de tous ses droits.

Lorsqu’il était caïd à Taounate au milieu des années 60, il a été démis de ses fonctions par le général Oufkir, alors ministre de l’Intérieur, par simple télégramme, sans explications. Mon oncle n’a pas hésité à l’attaquer en justice également, et il a attendu patiemment pour récupérer ses droits face à l’homme le plus puissant du régime de Hassan II à cette époque.

Je me souviens de cette période, lorsque mon oncle était suspendu de ses fonctions et sans moyens de subsistance. Son frère, feu Haj Hafid, le soutenait financièrement et me chargeait de lui remettre de l’argent pour subvenir à ses besoins quotidiens.

L’incident à Fès et la réponse rapide, surprenante et affirmée du jeune prince ont marqué mon oncle tout au long de sa vie. Qui d’autre, au milieu des années 60, aurait osé poursuivre en justice le général Oufkir, l’homme le plus influent du royaume, chargé du ministère de l’Intérieur et de tous les services de sécurité en ces années de plomb sombres ?

Mon oncle Tahami a finalement remporté son procès contre le ministre de la Défense, créant un précédent juridique encore étudié aujourd’hui dans les écoles de formation des cadres du ministère de l’Intérieur.

« Depuis quand crois-tu qu’on va te donner tes droits ? » Cette phrase est restée gravée dans l’esprit de feu Si Tahami Lebbar, le poussant à lutter contre l’oppression dès son plus jeune âge, étant l’un des premiers jeunes militants nationaux à être arrêtés à Fès à la fin des années 40 en tant que membre actif du Parti de la Choura et de l’Istiqlal.

Ainsi, un incident apparemment banal concernant des vélos a révélé le caractère rebelle du jeune prince et a influencé plus tard le comportement d’un autre jeune homme, tout aussi patriote et résistant.

Idriss El Kettani
Ancien ambassadeur du Maroc au Koweït