Akhannouch doit revoir ses comptes et restituer les profits du carburant

Driss Ghali Kettani, économiste ayant travaillé dans les années 1980 comme ingénieur en chef au ministère du Commerce et de l’Industrie, ainsi qu’en tant que conseiller économique et ancien ambassadeur au Koweït, donne son avis dans cette interview sur la problématique des prix des carburants au Maroc et propose des solutions pratiques pour protéger les consommateurs et faire face à la cupidité des entreprises.

Interview réalisée par Abdelhaq Belchkar

abelachgar@gmail.com

– Depuis la libéralisation des prix des carburants dans notre pays, il y a trois ans, ce secteur a connu des développements qui ont permis aux entreprises de réaliser des profits exceptionnels qualifiés d’immoraux. En tant que conseiller économique, ingénieur en chef et ancien responsable dans le secteur des mines, de l’industrie et de l’énergie, comment avez-vous suivi ce débat ? Quelles solutions proposez-vous pour sortir de cette situation complexe ?

– J’ai suivi dans les médias diverses propositions au cours des derniers mois, et certaines ont été discutées récemment au Parlement. Il y a aussi la position du ministre concerné, Lahcen Daoudi, qui contredit celle du chef du gouvernement et secrétaire général de son parti. Mais la plupart de ces propositions restent loin des attentes des consommateurs, qui demandent que l’État les protège contre l’expansion des entreprises de distribution et qu’il leur restitue les profits exceptionnels estimés à dix-sept milliards de dirhams, selon le président de la commission parlementaire, Abdellah Bouanou, chiffres confirmés par son groupe parlementaire sans être réfutés de manière catégorique par les entreprises concernées.

– Mais M. Daoudi a nié que ces entreprises aient réalisé des profits de cette ampleur, et a déclaré qu’il n’était pas nécessaire pour l’instant de fixer un plafond pour les prix des carburants, se contentant de surveiller leur évolution via un programme électronique ?

– Ces profits exceptionnels ont été confirmés officiellement par le président de la commission parlementaire, et les entreprises concernées ne les ont pas démentis de manière catégorique. Il est clair qu’ils ont été réalisés dans des conditions suspectes, suggérant une collusion des entreprises de distribution aux dépens des consommateurs, contre les règles de la concurrence loyale et en l’absence de tout contrôle de l’État. En tout cas, c’est ce que les boycotteurs ont conclu, convaincus de cette collusion contre eux, et ont décidé de continuer à boycotter la société « Afriquia », qui domine le marché de la distribution des carburants, jusqu’à ce qu’ils soient convaincus que les bénéfices des entreprises de distribution restent raisonnables, et qu’ils récupèrent ce qui leur a été pris de manière injuste.

En tout état de cause, ces profits excessifs sont immoraux, inhumains, et socialement, ainsi que religieusement, inacceptables car ils enrichissent de manière démesurée les riches au détriment des pauvres qui s’appauvrissent davantage, ce qui contredit les principes de solidarité prônés par notre religion.

– Quelle solution pensez-vous être efficace pour sortir de cette situation complexe ?

– Théoriquement, il existe de nombreuses solutions qui sont partiellement ou totalement appliquées, parfois de manière complémentaire, dans différentes régions et pays du monde. Mais je vais me contenter de rappeler ce qui me semble adapté à la situation de notre pays dans les circonstances actuelles et futures :

La première proposition est de libéraliser le secteur de la distribution des carburants.

Parmi les solutions efficaces appliquées dans la plupart des pays du monde, en particulier dans le monde libre, figure l’application du principe de la « liberté d’établissement », comme c’est le cas pour la plupart des secteurs de production, de commerce et de services. L’État se contente de fixer le cadre juridique via des lois et des procédures réglementaires, qui prennent parfois la forme d’un cahier des charges, donnant à tout intervenant le droit d’exercer la profession dans le cadre des conditions fixées, sans avoir besoin de licence préalable de l’État, mais avec un contrôle strict et permanent pour s’assurer que ces lois sont respectées par la suite. Cela diffère du système de licences en vigueur dans notre pays pour ce secteur, comme c’est le cas pour le secteur des transports, par exemple, un système hérité du colonialisme français, qui favorisait certaines entreprises au détriment d’autres, permettant ainsi un monopole au profit d’entreprises choisies par le colonisateur avant l’indépendance. Ce système constitue une des principales bases de l’économie de rente et est encore largement utilisé pour organiser différents secteurs de notre pays, malheureusement.

Imaginez si toute entreprise marocaine, remplissant les conditions requises, pouvait entrer dans ce secteur lucratif simplement en respectant un cahier des charges pour exercer la profession, le nombre d’entreprises augmenterait, rendant toute collusion entre elles difficile, et les bénéfices seraient répartis entre de nombreux intervenants au lieu d’être concentrés dans un nombre limité d’entreprises, choisies pour la plupart par le colonisateur avant l’indépendance. Il n’y aurait pas eu cent trente stations-service supplémentaires récemment attribuées à Afriquia, une entreprise qui dominait déjà le secteur.

– Pensez-vous que cela suffirait à empêcher la collusion dans ce secteur ?

– Je crois que la liberté d’intervention et d’établissement reste le meilleur moyen de lutter contre la corruption et de mettre fin à l’économie de rente, que le parti de M. Daoudi a toujours dénoncée. Au lieu de libéraliser les prix, l’État aurait dû défendre la libéralisation du secteur de la distribution des carburants en abolissant le système de licences, comme principal levier pour libéraliser les prix ultérieurement. De cette manière, l’État aurait garanti une véritable concurrence au profit du consommateur, au lieu de permettre à un petit nombre d’entreprises de continuer à monopoliser le secteur tout en les laissant augmenter les prix sans plafond ni contrôle.

– Quelle est la deuxième proposition ?

– Créer une entreprise nationale de distribution des carburants, sous la tutelle de l’État, pour réguler les prix du marché et ainsi limiter toute hausse excessive qui pourrait résulter d’une collusion des entreprises privées du secteur. Cela obligerait ces entreprises à ne pas dépasser des marges raisonnables sur les prix fixés par l’État à travers cette entreprise nationale. C’est une solution qui a été appliquée par le passé et qui est encore utilisée dans de nombreux pays, et il n’y a aucune raison légale pour qu’elle ne soit pas mise en œuvre dans notre pays dès que possible.

– Et qu’en est-il de la politique de fixation des prix ?

– C’est la troisième proposition, un système de fixation des prix par l’État, comme c’était le cas avant la libéralisation des prix, tout en maintenant la suppression des subventions par la Caisse de compensation. C’est le minimum demandé par les boycotteurs.

– Faut-il comprendre que l’ancien Premier ministre Benkirane a opté pour la libéralisation des prix sans garanties pour protéger les consommateurs ?

Je crois que l’erreur majeure de Benkirane est qu’on lui a présenté la suppression des subventions de l’État pour les carburants comme une opportunité, car l’État pouvait se retirer des subventions sans que le consommateur ne ressente la différence, étant donné la baisse des prix mondiaux à ce moment-là. Ils ont saisi cette occasion pour introduire la suppression du contrôle des prix sous le prétexte de la libéralisation du secteur. Je suis convaincu que si l’État n’avait pas abandonné son rôle dans la fixation des prix lorsqu’elle a cessé de subventionner ces produits, les entreprises de distribution, en particulier Afriquia, n’auraient pas pu réaliser ces bénéfices colossaux en si peu de temps.

– Qu’en est-il du plafonnement des prix ?

– Oui, il est possible de maintenir la situation telle quelle, tout en se contentant de fixer un plafond des prix chaque mois en fonction des cours mondiaux du pétrole brut, en définissant une marge de bénéfice raisonnable pour les entreprises de distribution (c’est le minimum acceptable). C’est une solution simple et applicable dans les plus brefs délais, sans revenir à un système de contrôle des prix. Elle laisse aux entreprises la liberté de fixer les prix à l’intérieur du plafond. Il est important de souligner la nécessité de fixer ce plafond par décret du Premier ministre, et non par une simple circulaire temporaire comme l’a récemment mentionné M. Daoudi.

– Mais même cette solution ne protège pas les consommateurs en cas de forte hausse des prix mondiaux ?

– J’ai toujours défendu la nécessité de fixer un plafond maximum convenu par l’État, qui ne peut être dépassé quelles que soient les fluctuations des marchés mondiaux du pétrole. Étant donné que l’État ne subventionne plus ce produit vital ni ne fixe plus ses prix, il est évident que le consommateur ne peut pas faire face à des hausses sans limite des prix mondiaux, surtout si le prix du diesel dépasse 13 dirhams par litre, ce qui est un scénario envisageable même à court terme, compte tenu des tensions internationales, notamment dans la région du Golfe. C’est pourquoi je propose que l’État annonce dès maintenant ce plafond maximum, pour rassurer les consommateurs et leur faire accepter la poursuite de la libéralisation des prix à l’intérieur du plafond mensuel fixé.

– Une des raisons du boycott de la société Afriquia, qui domine le secteur des carburants, est qu’elle a réalisé des bénéfices exceptionnels jugés déraisonnables, tout comme les autres entreprises. Comment ces bénéfices excessifs peuvent-ils être restitués ?

– La solution que je trouve juste, équitable et facile à mettre en œuvre, qui répond à la demande des consommateurs et mettrait fin au boycott, serait que toutes les entreprises de carburants restituent directement aux consommateurs les bénéfices exceptionnels qu’elles ont réalisés au-delà de leurs profits normaux depuis la suppression des subventions, en réduisant d’un dirham le prix plafond fixé par l’État chaque mois, jusqu’à ce que le montant total de ces déductions couvre l’intégralité des bénéfices exceptionnels réalisés par ces entreprises. De cette manière, les consommateurs récupéreraient directement, je dis bien directement, ce qui leur a été pris, en récupérant un dirham par litre pour le diesel, et un montant équivalent à convenir pour les autres carburants. C’est une proposition que je trouve juste, équilibrée et équitable pour toutes les parties, car elle permettrait à l’État de rétablir sa crédibilité, aux consommateurs de récupérer ce qui leur a été pris injustement en l’absence de contrôle de l’État, et à la société Afriquia de revenir à une situation normale. Dans le même temps, cela obligerait les autres entreprises qui ont profité du boycott d’Afriquia à restituer également aux consommateurs ce qu’elles ont pris de manière déraisonnable.

– Le Parti Authenticité et Modernité (PAM) a proposé à la Chambre des représentants que l’État réduise le prix des carburants d’un dirham par litre en le prélevant sur la taxe sur la consommation des carburants ?

– C’est une proposition que je trouve au minimum injuste envers l’État, les consommateurs et les citoyens. Comment peut-on imaginer que les représentants de la nation, quel que soit leur appartenance politique, demandent à l’État de rembourser aux consommateurs ce que les entreprises leur ont pris injustement ? En faisant cette proposition, ils garantissent aux entreprises de distribution de carburant de conserver ce qu’elles ont pris dans les poches des Marocains dans des conditions suspectes, tout en demandant à l’État de compenser les consommateurs au nom de ces entreprises, sous prétexte de défendre les consommateurs.

– Concernant le plafonnement des prix des carburants, il est facile à appliquer, mais il semble qu’Afriquia puisse le refuser, car jusqu’à présent, elle donne l’impression qu’elle n’est pas concernée par le boycott et tout ce qui se dit sur le sujet ?

– En effet, il est clair que cette entreprise, qui a réalisé des bénéfices exceptionnels lui permettant de résister au boycott pendant des mois, mise sur le temps pour que l’État trouve une solution à sa place et pour que ce boycott s’estompe progressivement. Comme si elle ne prenait en compte les revendications des consommateurs pour récupérer ce qui leur a été pris en l’absence de contrôle de l’État, et qu’elle ne s’intéressait qu’à des gains excessifs aux dépens des citoyens, tandis que la société Centrale Laitière a procédé à une auto-révision de ses prix en répondant, même partiellement, aux demandes des consommateurs. M. Akhannouch, propriétaire d’Afriquia, devrait revoir ses comptes de manière raisonnable, en tenant compte de tous les éléments nécessaires. Sur le plan national, il doit au moins préserver une partie de la réputation de son défunt père, qui a combattu le colonisateur pendant la période du protectorat français pour défendre les droits de ce peuple à la liberté et à une vie digne. Son père utilisait une partie de ses moyens financiers pour soutenir les familles des nationalistes pendant qu’il était emprisonné, comme me l’a raconté feu Abdellah Fallous, qui partageait sa cellule.

Sur le plan matériel, je lui rappelle qu’il a accumulé une fortune considérable en peu de temps, en plus du pouvoir et de l’influence qui lui ont permis de protéger et de renforcer ses multiples entreprises. Quant au plan politique, si cette situation est perçue par les boycotteurs comme un défi et une provocation à leurs revendications, elle pourrait mettre fin prématurément à ses ambitions politiques qu’il affiche encore lors de nombreux rassemblements, où il semble viser la présidence du prochain gouvernement. Je lui propose, comme solution à cette situation complexe qui pourrait s’aggraver s’il ne prend pas l’initiative, à l’instar de ce qu’a fait la société Centrale Laitière en réduisant ses prix, d’adopter lui-même la solution visant à restituer aux consommateurs ces bénéfices exceptionnels, et pourquoi pas de le présenter lui-même au peuple marocain, en tant qu’initiative personnelle pour contribuer à la stabilité de ce pays paisible sur des bases justes, s’il souhaite vraiment le bien et la stabilité de ce pays, et s’il croit en la justice sociale.

Idriss Ghali Kettani, Ingénieur en chef, ancien conseiller économique et ambassadeur