C’est ainsi que j’ai arrêté le réalisateur de L’Opinion sans le savoir.

Le regretté Mohamed Brada, directeur du journal L’Opinion, a été arrêté en 1970 sans connaître la source de l’information qui a conduit à son arrestation. Cela a eu lieu en septembre 1970, alors que j’étais fonctionnaire dans l’industrie. L’une de mes tâches était de superviser un personnel composé de plusieurs cadres chargés de représenter notre administration à toutes les réunions pour conclure des accords organisés par les administrations publiques, conformément aux règlements de passation de marchés imposés par la loi sur la fonction publique.

Un matin, un membre de l’équipe, visiblement très nerveux, est entré dans mon bureau pour me dire qu’il s’était rendu au ministère de la Défense pour assister à l’ouverture des soumissions d’appels d’offres. Cependant, un colonel chargé du bureau des procureurs l’a expulsé de la réunion à la suite d’une remarque qu’il avait faite concernant le non-respect des procédures légales d’ouverture des enveloppes. Je l’ai rassuré en lui disant qu’il pouvait rédiger un procès-verbal de la réunion, en m’assurant que notre administration soutiendrait sa démarche.

Peu de temps après, le même employé est revenu dans mon bureau, cette fois au comble du bonheur, pour m’annoncer qu’à son retour au ministère de la Défense, il avait trouvé une nouvelle équipe dirigée par le même colonel, cette fois strictement engagée à respecter les exigences et les lois des appels d’offres. Tous les participants à la réunion étaient encouragés à faire les choses correctement.

À ce moment de ma carrière, je n’étais pas encore marié et je passais souvent mes soirées avec des amis, dont Abdelatif Benis, un jeune homme jovial et toujours prêt à faire des blagues. Un soir, alors que nous discutions de divers sujets, je lui ai parlé de la mesure positive prise au ministère de la Défense, en exprimant ma satisfaction et en regrettant que d’autres départements ne suivent pas cet exemple.

Cet événement, qui m’avait réjoui, m’avait semblé anodin, et je n’avais pas prêté attention au fait que je m’adressais à Benis, qui était alors rédacteur en chef de L’Opinion, le porte-parole en langue française du Parti de l’Indépendance. Je n’avais pas non plus remarqué son départ soudain après notre discussion.

Ce soir-là, en rentrant chez moi, j’ai acheté le journal comme à mon habitude pour le lire avant de me coucher. J’ai alors découvert en première page une brève nouvelle intitulée “Un vent de changement au ministère de la Défense”, qui évoquait les améliorations dans la gestion des achats au sein de l’Armée Royale, sans entrer dans les détails, probablement en raison de la fermeture prochaine du journal pour impression.

Bien que j’aie été légèrement contrarié que mon ami Abdelatif ait publié cette nouvelle sans me consulter, j’étais également heureux que cette bonne nouvelle soit transmise à tous les citoyens.

Mais le lendemain, j’ai appris l’arrestation du regretté Mohamed Brada, directeur du journal L’Opinion. J’ai été stupéfait en découvrant qu’une enquête était en cours pour découvrir la source de cette information, qui n’aurait pas dû être publiée, car elle relevait de l’establishment militaire.

Abdelatif Benis et moi avons passé des jours dans l’angoisse, attendant des nouvelles de Mohamed Brada. Finalement, il nous a informés que Brada, bien qu’il n’ait pas été consulté avant la publication de l’article, n’avait pas renié la publication de cette information. En raison de sa position politique et de ses principes juridiques, il avait préféré concentrer sa défense sur le droit du journaliste à ne pas révéler la source de ses informations, insistant sur l’importance de la véracité de l’information. Malheureusement, il a été accusé d’avoir influencé l’esprit de l’armée royale et a été condamné à un an d’emprisonnement.

Le défunt a-t-il appris par la suite la véritable source de la nouvelle qui l’a conduit en prison ?

Driss Kettani